D’un côté, des montagnes bienveillantes, de l’autre, une mer hargneuse, et au milieu une ville, effervescente, cosmopolite. C’est le bout de l’Afrique, là où tout s’achève, où tout commence. Avant de s’effondrer en gerbes d’écume sous les flots rageurs de deux océans, le continent s’offre un dernier baroud d’honneur au cœur d’un décor grandiose.
TERMINUS LE CAP
Pourquoi céder à la facilité et arriver bêtement au Cap en avion ? Mieux vaut arriver bêtement à Pretoria en avion et sauter dans un train pour Le Cap. Mais pas n’importe quel train. Le Rovos, s’il vous plaît, l’un des trains les plus luxueux du monde, idée foldingue d’un passionné de mécanique et de tortillards. Il roule encore moins vite qu’un TER ardéchois conduit par un syndicaliste de SUD-Rail, mais qu’importe. Les passagers ne sont pas là pour la griserie de la vitesse. Ils ont trois jours, deux nuits pour rejoindre Le Cap et regarder les autruches galoper au milieu des termitières du grand Veld. Rohan Vos commence en 1987 par racheter des wagons et des locomotives à vapeur à la National Rhodesian Railways, à la compagnie ferroviaire sud-africaine et à des collectionneurs privés. Son objectif est alors de remettre sur rails ces palaces roulants de l’entre-deux-guerres à bord desquels on découvrait l’Afrique et ses mystères une coupe de champagne à la main. Mais les voitures en bois ont fini par fatiguer. « Ces vieilles dames grinçaient de partout, explique Gareth, le fringant chef de train. Montées sur des ressorts, elles donnaient le mal de mer ! En 1994, elles ont été remplacées par des wagons des années 1970, métalliques et à suspension hydraulique ». Adieu aussi le charme de la vapeur et sans regret, car la suie rentrait même par les fenêtres fermées. Les costards blancs ne le restaient pas longtemps. Aujourd’hui, les vieilles locos ne sont plus là que pour le show avant l’embarquement et leurs anciens chauffeurs jouent les guides dans le musée de la compagnie. Gert van Vuuren, 69 ans, dont 41 passés derrière le foyer, a une voix poncée par des décennies de tabac, aussi rugueuse que les morceaux de charbon qu’il devait pelleter sans cesse. « Le boulot de “stoker” est vraiment épuisant. En une nuit, il fallait enfourner 12 tonnes de charbon ! Normalement on restait 5 ans à ce poste et après on devenait conducteur. » Aujourd’hui, toutes les voitures ont été restaurées et aménagées afin de réaliser – nous dit la brochure – « l’alliance entre l’opulence d’un temps révolu et les innovations subtiles de la modernité ». De fait, la cabine aux panneaux d’acajou transporte illico son locataire dans l’atmosphère délicieusement désuète des années victoriennes. Les appliques électriques en porcelaine, les abat-jours fleuris dans le style Art nouveau, le couvre-lit damassé comme chez Mémé… rien ne manque si ce n’est peut-être la nostalgie éthérée d’un parfum de violette. Dans le tiroir de la commode, on trouvera des lunettes de protection pour se pencher par la fenêtre et se protéger non pas des escarbilles désormais disparues, mais des insectes suicidaires. Comme nous le répétaient à l’envi nos bons vieux trains Corail : « È pericoloso sporgersi ! » (…) Lire la suite dans AR33