Chine – Une vie de Dong

Dans la province oubliée du Guizhou, il existe des îlots de quiétude perchés dans les montagnes et restés à l’abri de la grande vague de modernisation qui a submergé l’ensemble du pays. Les Dong y cultivent leurs riz gluant et leurs traditions pour le plus grand plaisir des rares visiteurs.

Loin, très loin, des tours de verre de Shanghai, à des années-lumières du smog pékinois et de la fourmilière cantonaise, le village de Dimen s’étire doucement dans le petit matin vernissé par la dernière averse. Des maisons de bois aussi branlantes que les baraques hantées de la foire du Trône font le gros dos contre la bruine sous les écailles de leurs toits. Les tuolaji, ces petits motoculteurs bidouillés pour tracter une remorque, apothéose de la bricole chinoise et parangon de la débrouillardise paysanne, somnolent encore sous les auvents dans un abattement de cheval fourbu. Une petite vieille rétrécie par le froid sort soudain de sa bicoque, se racle la gorge dans un gargouillement pathétique de vidange avant d’envoyer valser un monstrueux glaviot dans la rizière inondée. C’est la campagne chinoise, terriblement attachante à défaut d’être glamour, avec ses gosiers encombrés, ses flatuosités récurrentes, ses chemins tortueux gorgés de flaques de boue, ses cochons mal embouchés, ses toits de tuiles qui rebiquent aux coins comme des planches de bois séchées trop vite avec dessous des oiseaux chanteurs qui se défient en trilles assommantes d’une cage à l’autre. Le Guizhou est sans doute la province la plus déshéritée de Chine. Isolée du reste du monde par son relief mouvementé, la région, comme maintenue sous cloche, est restée à l’écart de la poussée de fièvre moderniste qui a saisi le reste du pays. L’arrivée tardive du chemin de fer en 1959 a interdit l’exploitation des ressources naturelles comme la houille et le phosphate et a retardé la glorieuse métamorphose de la paysannerie en classe ouvrière. Toute une petite économie agricole de montagne a pu être ainsi préservée de la dérisoire agitation des plaines, parfois au prix d’une misère noire : jusque dans les années 1960, il n’était pas rare qu’une famille doive se partager un seul pantalon ! Aujourd’hui, même si plus personne ne s’y promène cul nul, le Guizhou demeure le coin idéal pour jouir des petites douceurs de la Chine rurale. (…) Lire la suite dans AR31

Photographe : Christophe Migeon
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Écrit par
Christophe Migeon
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