On se fait la belle – Les Seychelles

Je t’écris des Seychelles, qui figurent tout en haut du classement des paradis terrestres. Tu as probablement en tête des images de plages de rêve avec des cocotiers se couchant pour embrasser l’eau turquoise de l’océan indien sur fond de rochers granitiques aux formes érodées par le miracle du temps qui nous précède pour nous offrir celui de la perfection esthétique. Tu vois la photo ? Eh bien ! en vrai, c’est encore mieux, car tu peux te baigner. Et derrière la mer, il y a des montagnes (alors qu’aux Maldives, le point culminant est un palmier), montagnes recouvertes d’une végétation hégémonique s’immisçant dans chaque recoin du minéral. Et sous la mer, il y a des aquariums où s’ébattent les poissons-clowns qui font rire les plongeurs, les raies et les tortues les plus balèzes du monde, qui n’ont rien à envier à celles des Galapagos.

Bien sûr, en voyageur averti, tu sais que la carte postale cache parfois des réalités sinistres. Combien d’îles tropicales abritent un climat social douloureux, une jeunesse désœuvrée et la criminalité qui va avec ? Au bout de quelques jours passés aux Seychelles, le visiteur, à qui on ne la fait pas, se posera la question : mais quels sont les problèmes de ce pays ? Il y en a sûrement, mais ils ne sont pas énormes ou alors ils sont très bien cachés. Les Seychelles vivent essentiellement du tourisme et elles en vivent bien, tout en se prémunissant des fléaux du tourisme de masse. Pas de saccage environnemental (la moitié du littoral est protégé, il y a un moratoire sur les constructions d’hôtel), pas de prostitution cradingue, pas de relous t’agrippant pour te vendre un collier de coquillages. Ce pays de 90 000 habitants gentiment calés au sud de l’équateur connaît pile le bon niveau de développement. Tout marche et il n’y a ni Mc Do, ni Starbucks, ni panneaux publicitaires géants destinés à massacrer le paysage. Démocratie, infrastructures nickel, santé et éducation pour tous. Pas l’opulence pour tout le monde, mais la misère pour personne.

À Mahé, l’île principale où se situe la minuscule et croquignolette capitale Victoria, tu croiseras les mêmes personnes dix fois dans la journée en te promenant dans ces quelques rues commerçantes qui s’achèvent dans la cambrousse. À Praslin, tu arpenteras la forêt primaire de la vallée de Mai, qui abrite depuis 600 millions d’années ses espèces de palmiers endémiques, notamment le célébrissime coco-fesse. À la Digue, tu jetteras un coup d’œil à la plage d’anse source d’argent, qui est aux Seychelles ce que la tour Eiffel est à la France, et tu salueras les chauves-souris, seul mammifère présent à l’arrivée des Européens au XVIIe siècle sur ces rivages dépourvus d’êtres humains. Partout, tu expérimenteras la douceur du rythme de vie créole qui convient naturellement aux hommes de bonne volonté.

La toponymie locale, qui n’est pas dénuée de poésie, finira de te convaincre. Qui refuserait de faire un tour sur l’anse Boudin ou l’anse La blague ? (Je ne te parle même pas de l’anse Patates ou de l’anse aux Poules bleues). Il y a dans ce pays un lieu-dit nommé Amitié. Mais aussi une île Curieuse, une île Moyenne et même une île Anonyme. Enfin, un îlot a été baptisé l’Îlot, dans un minimalisme qui relève quasiment du génie. Pourquoi se compliquer la vie ?

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Photographe : Franck Ferville
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Écrit par
Julien Blanc-Gras

Né en 1976, Julien Blanc-Gras est un écrivain et journaliste-reporter.
Après des études de journalisme à Grenoble, il obtient un DEUG d’histoire puis une maîtrise en journalisme, puis à Hull en Angleterre.

En 2005, il publie au Diable vauvert, « Gringoland », qui conte un périple latino-américain et sera ensuite lauréat du festival du Premier Roman de Chambéry et « Talents à découvrir » des librairies Cultura.

En 2008, il publie « Comment devenir un dieu vivant », une comédie apocalyptique déjantée, puis « Touriste » en 2011, et « Géorama » en 2014.

Il a également séjourné aux îles Kiribati à l’automne 2011 pour réaliser son livre, « Paradis (avant liquidation) » (2013).

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