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Fantasme d’ethnologue chez les Papous des Trobriand

Situées au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Trobriand ont été découvertes au XVIIIe siècle par un navigateur français qui leur a donné le nom du comte de Trobriand, dont la devise était « Trop brillant pour être terni ». Étonnant, mais véridique. Quant à leur réputation, elle remonte aux récits d’un anthropologue polonais de la première moitié du XXe siècle : Bronislaw Malinowski. Il s’y est rendu au début de la première guerre mondiale (fortiche, à une époque où d’autres se faisaient massacrer dans les tranchées), et a relaté son expérience dans un livre-choc publié en 1930 : La vie sexuelle des sauvages du nord-ouest de la Mélanésie.

L’amour, le vrai, le sauvage

Le mot sauvage fait aujourd’hui tiquer, mais il faut se replacer à un époque où le politiquement correct n’était pas encore à la mode. En tout cas, Malinowski a été marqué par ce qu’il a observé : « La liberté sexuelle des filles non mariées est complète. Elles commencent à avoir des rapports avec l’autre sexe très tôt, à l’âge de six ou huit ans. » Les adolescents se retrouvent dans des « maisons de célibataires », où ils peuvent s’initier à leur guise aux choses de la vie. De plus, les récoltes donnent lieux à des « fêtes de l’amour » qui se terminent en orgie.

Déchaînement des femmes

Il arrive aussi que toutes les filles d’un village se rendent dans une autre localité, où chacune est choisie par un garçon pour la nuit. Malinowski raconte encore qu’ «  il était alors considéré comme le devoir d’une fille du village d’agir comme partenaire de l’étranger. » Mais avec un inconnu, les femmes peuvent aussi se déchaîner d’une façon moins glamour : celui-ci « devient alors le jouet des femmes qui se livrent sur lui à des violences sexuelles, à des cruautés obscènes, le souillent d’immondices et le maltraitent de toutes les manières. […] Certaines femmes couvrent le corps de l’homme de leurs excréments et urines, s’attaquant surtout au visage qu’elles souillent le plus qu’elles peuvent ! »

Tabous et fidélité

À part ça, il y a quand même des tabous. Une sexualité totalement libre, cela n’existe pas. Si les jeunes peuvent coucher ensemble avant le mariage, ils ne peuvent ni manger ensemble, ni se promener côte à côte. Et après le mariage, fidélité obligatoire ! La parole semble être le tabou ultime : on fornique à tout va, mais interdiction de faire le moindre commentaire là-dessus. Ce qui, d’une certaine façon, confirme le dicton selon lequel ce ne sont pas ceux qui en causent, qui en font le plus.

Trop brillant pour être vrai

Certains descriptions de Malinowski sont cependant contestées par les spécialistes. Selon Bertrand Pulman, anthropologue à l’université Paris 13, l’étude de son journal «  ne laisse aucun doute sur le fait qu’il éprouva, à de nombreuses reprises, un puissant désir sexuel pour les femmes indigènes », ce qui l’aurait conduit à une « surestimation […] de la liberté sexuelle des Trobriandais. » Quelles que soient les parts de vérité et de fantasme, qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Les îles Trobiand n’attirent plus guère les ethnologues et elles n’ont jamais vraiment été une destination touristique. Le visiteur de 2018 qui s’attendrait à assister à des orgies débridées risque fort d’être déçu. Mais si vous y allez, nous serions très curieux de recueillir votre témoignage.

© photo de une : DR

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Écrit par
Antonio Fischetti
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