Bolivie – des tropiques à l’altiplano J17

Uyuni – La Paz (voyage lecteurs A/R avec Tirawa)

Vol Uyuni – La Paz. Un décollage étonnant. Le petit biréacteur prend son élan, roule sur la piste, longtemps, très longtemps mais jusque-là rien que de très normal : 3 600 m, c’est le royaume du « thin air » comme disent les Anglais, cet air maigre sur lequel les ailes des avions ne trouvent pas d’appui. L’avion finit par décoller. Derrière les hublots la grande plaine salée d’Uyuni déploie sa peau de noyée, toute blanche et toute fripée. Et ce couillon d’avion – ou de pilote, car à ce moment précis, j’ignore encore quel est le coupable – refuse de monter. Certes, la surface du salar défile une vingtaine de mètres sous l’avion, superbe spectacle dont Yann Arthus-Bertrand ferait encore un bouquin mais qui au bout d’une trentaine de secondes commencent à nous rendre un peu nerveux. Même si je ne les ai pas en visuel, je devine certains fessiers légèrement crispés. Lorsque l’appareil accuse une vague mollesse dans les réacteurs et perd encore un peu d’altitude, certains commencent à exprimer à voix haute leurs doutes quand à la suite des évènements : « Mais il est en train de se reposer ce con ! ». Et l’éclair d’un instant, on s’interroge sur le bilan des forces en jeu entre un train d’atterrissage et une croûte de sel de quelques dizaines de centimètres d’épaisseur flottant sur un lac de saumure. Une minute de vilaines suées plus tard, l’avion remet les gaz et nous expédie au delà des nuages. Le pilote – qu’il soit maudit jusqu’à la septième génération – voulait simplement nous faire plaisir en faisant du rase-motte de sel.

Des hauts et des bas

Arrivée à La Paz sans looping, vrille ou autre extravagance de pilotage. Mais d’autres surprises nous attendent. A  la sortie de l’aéroport, nous nous frottons à notre premier barrage. Le bloqueo est un véritable sport national, bien avant le trot attelé de lama ou le lancer de viscache. Dès qu’un groupe ou une communauté désire faire entendre ses revendications, les routes sont bloquées et les impatients qui souhaiteraient passer en force, impitoyablement caillassés.  Les contestations de tout poil se cristallisent autour du siège de l’exécutif. La capitale de la paix est donc souvent en état de guerre. « Nous sommes les Français d’Amérique du Sud » se lamente le guide Alejandro. Ici, il s’agit d’habitants de l’Alto, la ville haute – et pauvre – sur les hauteurs de La Paz qui en ont assez d’être largués à mi-chemin par des chauffeurs de minibus indélicats alors qu’ils ont payé une course complète. Une armada de flics, cagoulés et matraque au côté, déployés comme s’ils attendaient les participants d’un G20, nous garantissent le passage vers la mégapole. Merci la police et tant pis pour les pauvres, ils n’ont qu’à prendre un vélo ou habiter plus bas. Car c’est tout le paradoxe de La Paz : imaginez une gigantesque cuvette cernée de montagnes et dont les parois abruptes disparaissent sous un amoncellement sauvage de maisons en parpaings. Il faut monter pour descendre dans les bas-quartiers et descendre tout au fond de cet entonnoir dantesque pour frayer avec les richards. Ici, l’ascension sociale se fait en dévalant la pente. En bas, les tours et les grands immeubles poussent comme champignons après l’averse. Il faut bien blanchir l’argent du narcotrafic. Encore plus bas, vers le Sud, dans les quartiers de la Rinconada et de la Florida, villa cossues, palais de parvenus, pavillons de nouveaux riches au goût encore peu sûr, pètent de trouille derrière leurs hauts murs hérissés de barbelés et de tessons de bouteilles. Chez ces gens-là, on parle espagnol en s’efforçant d’avoir l’accent américain – c’est tout de même plus chic – et on pousse des baballes dans les trous du plus haut golf du monde. Pendant que ces messieurs-dames perfectionnent leurs swings et leurs putts, les bicoques des « hauts-quartiers » s’agrippent désespérément à la montagne en attendant le prochain glissement de terrain.

Photo : Christian Juni

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Écrit par
Christophe Migeon
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