Bolivie – Des tropiques à l’altiplano 3

Sucre 

Capitale de la Bolivie ? La Paz ? Eh bien non, raté, c’est Sucre. Au grand jeu des capitales – auquel je confesse m’adonner de temps en temps histoire d’étaler une pseudo-culture parfaitement désuète et ridicule depuis l’avènement des smartphones et de l’intervention instantanée de Mr Wikipédia – la Bolivie est piégeuse. Moins drôle que le sultanat de Brunéi avec son Bandar Seri Begawan ou la nouvelle capitale crée de toutes pièces par les généraux birmans, Naypyidaw, mais néanmoins beaucoup plus fin que le très classique Canberra australien ou le désormais très couru Nuuk groenlandais. En 1825, quand le père Bolivar descend de son cheval pour libérer le Haut-Pérou des Espagnols qui à l’époque n’avaient pas encore de sportifs suffisamment dopés pour lui mettre une raclée, le nouvel État, fort reconnaissant, adopte bientôt le nom de son libertador. Après avoir fêté l’évènement autour d’une bonne raclette, Bolivar  écrit une constitution sur un coin de nappe, donne les clés de la boutique à son fidèle copain de régiment Antonio José de Sucre, et repart ventre à terre sauver de nouveaux pays. La Bolivie, c’est bien joli, mais il n’a pas que ça à faire. Avant de filer, il a juste le temps de déclarer La Plata, jusqu’ici centre judiciaire, religieux et culturel de la région, capitale du pays et de la rebaptiser du nom de son adjoint histoire de le remercier pour le coup de main. Sucre est sacrée capitale.  Mais quand la rivale La Paz profite du boom économique lié à l’exploitation des mines, les présidents suivants préfèrent y installer leurs pénates plutôt que de risquer la neurasthénie dans une ville de province dépourvue de Fnac ou même d’un Monoprix. En 1899, Sucre se fâche contre cet exécutif qui part s’encanailler ailleurs que chez elle. Les deux régions s’affrontent alors dans une guerre civile passablement ridicule mais néanmoins meurtrière, la guerre fédérale, que La Paz emporte haut la main. Sucre manque de tomber en morceaux. La ville ne garde finalement que le pouvoir judiciaire mais n’en demeure pas moins la « vraie capitale ». Le touriste déambule aujourd’hui sous ses toits aux tuiles couleur biscuit, devant des porches-peignes sertis de trois ou quatre cloches de bronze ou à l’ombre de cloîtres au parfum de citron et d’orange amère. Dans un couloir du monastère San Felipe Neri, un tableau indigène revisite la Cène : une viscache grillée est en train de refroidir devant le Christ qui semble déjà repu, Matthieu tend la main vers une appétissante corbeille de pêches posée au milieu de petits piments vert et rouge. Et Judas, la face complètement rouge, sans doute la gueule en feu pour avoir croqué l’un d’entre eux, se tourne vers le spectateur comme pour lui demander de la mie de pain.

Photographe : Christian Juni
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Écrit par
Christophe Migeon
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