Carnet sonore : notre sélection musicale de l’hiver

Pat Thomas & Kwashibu Area Band « Obiaa ! » (Strut)

Musicalement, le Ghana est longtemps resté dans l’ombre de l’autre grand pays anglophone d’Afrique de l’ouest, le Nigéria du génial Fela. Avec le temps, la lumière finit tout de même par percer et fait enfin luire les noms d’Ebo Taylor, Gyedu-Blay Ambolley et autres figures historiques du highlife, l’euphorique musique des années d’indépendance. Mention spéciale à Pat Thomas, qui, à 72 ans, publie un nouvel album particulièrement juvénile, enregistré à Berlin et truffé de cuivres enjoués, de guitares piquantes et de claviers guillerets. Vous avez dit « highlife » ? Et oui, le Ghana est grand et la vie est souvent belle…
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Compilation « Léve Léve » (Disques Bongo Joe)

Vous avez envie de vous faire remarquer lors d’une soirée dansante ? Munissez-vous de cet excitant petit disque ! Entre deux déhanchements, vous aurez le plaisir de hurler aux invités éberlués : « Ca vient de Sao Tomé et Principe, vous savez, les îles du golfe de Guinée ». Puis, reprenant votre souffle, vous pourrez glisser aux danseurs les plus proches que ces confettis volcaniques ont été colonisés par les Portugais, qui y avaient institué les travaux forcés (d’où la mention du « caminho pra São Tomé » dans l’inusable Sodade de la Capverdienne Cesaria Evora), qu’ils ont un temps été les principaux producteurs de chocolat du continent africain mais qu’ils ne brillent plus aujourd’hui que par leurs plages de rêve et leur nature luxuriante… Pendant ce temps, une musique idéalement exotique, à base de rythmes souriants et de guitares guillerettes, aura continué à agiter poignets, nombrils et mollets. Si, malgré ça, vous repartez mal accompagné, pensez à changer d’eau de toilette.
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Sahra Halgan « Waa dardaaran » (Buda Musique)

Personne ne va au Somaliland. Même Julien Blanc-Gras n’y songe pas. Alors, c’est le Somaliland qui vient à nous en la personne de Sahra Halgan. Ce petit bout de corne de l’Afrique, coincé entre la Somalie, l’Ethiopie et Djibouti, s’est trouvé là une ambassadrice de choc. Née dans une famille de chanteurs et de poètes, affligée d’un destin aussi chaotique que celui de son pays, Sahra a fini par recruter des musiciens rencontrés lors d’un long exil à Lyon et leur demander de faire rugir d’ardentes guitares électriques sous ses rudes complaintes. Si l’Afrique n’était pas déjà le berceau du blues, ce continent en serait l’avenir !
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El Khat « Saadia Jefferson » (Batov Records)

Le Yémen est à réinventer. Point de passage autrefois incontournable, phare désormais éteint d’une civilisation de l’échange, cette pointe montagneuse de la péninsule arabique résonnait encore dans les années 50, 60 et 70 d’airs aimables, de refrains enjoués. Gravés sur des 45 tours, réunis sur une compilation du DJ anglais Chris Menist, ils reprennent aujourd’hui vie à Tel Aviv, grâce au musicien d’origine yéménite Eyal El Wahab. Depuis plus de deux ans, ce violoncelliste a mis entre parenthèses sa carrière au sein du Jerusalem Andalucian Orchestra pour questionner sa famille, apprendre l’arabe, se former à l’art d’assembler charpentes et instruments… Le résultat de ses bricolages est un premier disque étourdissant, où des bêlements répondent aux trompettes, où la transe guette et où les orgues perdent la tête. C’est un bout du Yémen qui renaît dans ces bribes de mélodies recousues et joliment réhabillées.
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Mah Damba « Hakiki Kélé » (Buda Musique)

Une voix ne suffit pas, en tout cas pas dans l’univers de la musique mandingue ! Celle de Mah Damba est à tomber : prodigieusement perçante, immédiatement saisissante. Mais, au Mali, ce n’est pas assez pour qu’un disque sorte du lot, tant l’éducation vocale dispensée aux enfants et petits-enfants de griots dans les arrière-cours de Bamako, de Ségou ou de Sikasso produit de sopranos superbes ou de ténors étonnants. Plus encore que par la fougue de sa principale interprète, Hakiki Kélé se distingue par la discrète richesse de ses arrangements, cette centaine de détails ailleurs insaisissables : l’élégant claquement des doigts sur la calebasse, le doux martellement du balafon, les affectueux accords du n’goni… Le diable n’est pas dans les détails, c’est le talent qui y habite.
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Aziza Brahim « Sahari » (Glitterbeat)

Certains chantent une terre perdue, d’autres une terre qu’ils auraient aimé connaître. C’est le cas d’Aziza Brahim, qui exalte des dunes de sable dans lesquelles elle n’a pas enfoncé ses pieds, celles du Sahara Occidental, volé à ses grands-parents alors qu’elle n’était pas née. Rien d’artificiel, rien de mensonger, pourtant, dans les émotions qu’elle porte. Une nostalgie sincère, une oscillation naturelle entre espoir et chagrin vibrent tout au long de son troisième album, enregistré à Barcelone en compagnie d’Amparo Sánchez. Le monde compte aujourd’hui près de 70 millions de réfugiés et de personnes déplacées, il en comptera peut-être le double avant 2050. La sensation de perte n’a pas fini d’inspirer des chansons bouleversantes…
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Le choix du rédac’ chef

Compilation « L’Amazone » (Accords croisés)

Non content d’être le très érudit et très passionné chroniqueur de cette page Musique, François Mauger est un conquistador. Délaissant le morion au profit du casque audio, il est allé conquérir les fabuleuses musiques qui s’épanouissent sur les rives de l’Amazone depuis son embouchure jusqu’à sa source, et en est revenu avec 27 titres d’une grande diversité. Les voix du fleuve s’échappent des grandes villes portuaires comme Manaus, de la forêt amazonienne et des montagnes des Andes. Et c’est ainsi que la guitarrada et le carimbó brésiliens côtoient les chants de l’Altiplano et ceux des Amérindiens.

Michel Fonovich

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Écrit par
François Mauger
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