Dans le désert mauritanien de l'Adrar - A/R Magazine voyageur 2017

Le désert de l’Adrar rouvre ses portes en Mauritanie

De grands à-plats de jaune devant, derrière, à droite, à gauche. Au-dessus, un pan de bleu où flotte un gros disque orange aux contours flous. Une peinture digne de Mark Rothko, une version abstraite et figée du désert de l’Adrar en Mauritanie. Mais ne voyez-vous rien venir ? Là, dromadaires et randonneurs sous la houlette d’un guide enturbanné marchent dans l’erg Ouarâne, sous le soleil implacable de midi.

La réouverture de la Mauritanie, une première depuis dix ans

Après l’assassinat de quatre Français par un groupe djihadiste en 2007 et la décision du Quai d’Orsay de passer toute la zone en rouge sur les cartes, l’Adrar rouvre enfin ses portes aux tour-opérateurs et à tous les autres mordus de la Mauritanie. La fin d’un long sevrage pour les aventuriers et les guides privés de leur dose de dunes pendant trop longtemps. « Ça fait dix ans qu’on attend ça, tu sais ?  Dix ans qu’on enchaîne les petits boulots, à Nouadhibou, Nouakchott ou Zouerate, il faut bien nourrir les familles…

Mais dès qu’on a eu vent de la réouverture, on est tous revenus à Atar pour préparer la saison ! », lâche Yeslem Ould Daddah, notre guide, né et élevé dans l’Adrar, en Mauritanie, tout sourire et tout content de ressortir ses plus belles claquettes pour parcourir près de 100 kilomètres dans l’Adrar. Quant à nous, pauvres touristes, avec nos chaussures de marche, nous sommes plus proches du pingouin que du bédouin : sable et chaussures « fermées » ne font pas bon mélange, car elles n’ont en réalité de fermé que le nom et le sable s’y glisse sans soucis.

D'erg en erg dans l'Adrar - A/R Magazine voyageur 2018

Tomber d’erg en reg

Chaussures et Chinguetti, même combat. Pas que les ruelles ocre de la cité bibliothèque aux mille livres saints puent des pieds, mais elles aussi luttent contre le sable. Comme ses voisines les cités fortifiées (ksars) de Tichitt, Oualata et Ouadane, fondées aux XIe et XIIe siècles et classées elles aussi au patrimoine mondial de l’UNESCO, Chinguetti est menacée par les tendances expansionnistes de l’erg Ouarane, le plus grand ensemble dunaire de Mauritanie (1000 km²). Mais les habitants résistent. À coups de pelle, beaucoup. À coup de maigres subventions de l’Union européenne aussi. La dernière date de 2003. « Le cadeau de l’Europe ? Des pelles et quelques brouettes », ironise Meriem, une habitante qui nous poursuit à travers la ville dans l’espoir de nous vendre quelque pièce d’artisanat local stockée depuis des années dans une cave.

Pour récompenser sa ténacité autant que son témoignage, je cède à ses propositions et repars de Chinguetti avec un chapelet censé me protéger contre les djinns du désert. J’aurais préféré repartir armé d’un solide coupe-vent, car contrairement à ce que laissent penser les séduisantes brochures des tour-opérateurs, l’Adrar n’a rien d’un long désert tranquille. Tout commence pourtant en douceur avec l’erg Ouarâne. La conquête de dunes de forme et de taille insensées te grise. Sous le doux soleil d’hiver, tu te prends pour un nomade. Le désert est ton royaume. Tu t’emballes jusqu’au moment où tu croises la route de la fameuse montagne bicolore de Zarga. Là commence l’enfer. Disparues, les dunes dorées et dodues comme des brioches. Restent la roche et puis les cailloux, c’est le reg. Nos sens patinent, tentent de s’accrocher à un détail, quelque chose, n’importe quoi. Ici, un cairn défiant l’immensité, là, une tombe de nomade faite de roches brutes, plus loin, un acacia solitaire aux branches malmenées par le vent.

Mais l’aridité du paysage n’est pas châtiment suffisant. Il nous faut aussi subir les attaques du maître des lieux, l’ahattay, ce vent furieux. Il hurle, bouscule, moleste. Il charrie du sable, en plus. Et nous le fait manger. La marche silencieuse s’automatise. Le temps s’étire sans autre repère que le bruit du sable qui craque entre les dents et celui des genoux qui grincent et qui nous supplient de leur accorder une pause.

Un thé au Sahara - A/R Magazine voyageur 2018

Un thé au Sahara

Par chance, nos 15 kilomètres de marche quotidienne en Mauritanie sont ponctués de longues haltes. Des entractes, disait Théodore Monod, « dans la pièce qu’est le désert ». L’occasion, à midi, d’enfin ne rien faire sinon bouffer des dattes, jouer à l’awalé avec des crottes sèches de dromadaire puis taper la sieste à l’ombre d’un acacia avant le début du deuxième acte. Saluons l’incroyable talent des chameliers pour bricoler avec deux charbons et trois brindilles le feu qui servira à préparer l’indispensable thé ou plutôt les thés, car l’atay de l’Adrar arrive toujours par trois.

« Le premier amer comme la vie, le second doux comme l’amour, le troisième suave comme la mort », philosophe Yeslem, ses éternelles claquettes aux pieds malgré les petits 8 °C qui ne parviennent pas à refroidir sa bonne humeur. C’est que les gars du désert (pas nous, touristes grelottants) sont durs au mal. Pas toujours très causants, c’est vrai – nous ne saurons jamais le prénom des chameliers – mais plutôt robustes. Capables de marcher sans pause à travers le désert, capables aussi de résister à la soif. Ces caractéristiques évoquent celui sans qui rien ne serait possible : le dromadaire (communément appelé chameau bien qu’il ne soit doté que d’une bosse). Le dernier couché et le premier levé. Celui qui depuis Chinguetti trimballe casseroles, thé, tentes et valises. Il peut bien blatérer à s’en faire péter la glotte pour manifester son ras-le-bol, il doit filer droit. Alors il traverse l’erg puis le reg et les oasis. Lagueïla, M’Haireth, Farès… jusqu’à notre Terre promise.

Terjit et ses sources d’eau chaude, ses palmiers dattiers et ses tentes enfin à l’abri du vent. Pourtant, après quelques heures passées à se la couler douce, il faut bien se rendre à l’évidence. Tout, ici, sent la fin d’aventure – de l’odeur qui se dégage de nos pompes jusqu’à celle du pot d’échappement du 4X4 qui s’apprête à nous renvoyer dans l’avion. Finie, la Mauritanie ? C’est triste, mais ce n’est pas une fatalité. Il est toujours temps d’enfourcher un dromadaire pour s’échapper de nouveau dans le désert.

Retour au désert - A/R Magazine voyageur 2018

Le retour au désert

« Je me suis battu pour ça », raconte Maurice Freund de sa voix éraillée. À 74 ans, le fondateur de Point Afrique (première compagnie à avoir affrété des vols charters Paris-Atar en 1996) et président de l’agence Point-Voyages est l’artisan du retour des tours opérateurs dans l’Adrar. En 2016, Maurice Freud rencontre Marc Foucaud, général à la retraite (il dirigeait les opérations Serval et Barkhane dans le Sahel). Tous deux sont convaincus que la Mauritanie est un pays sûr et entreprennent de convaincre le ministère des Affaires étrangères de sortir l’Adrar de la zone rouge. Le duo engrange les soutiens, notamment ceux de Jean-François Rial, propriétaire du groupe Voyageurs du monde, et de Jean-Marie Bockel, sénateur du Haut-Rhin et membre de la commission des affaires étrangères au Sénat. Le 21 mars 2017, le Quai d’Orsay abaisse le niveau de sécurité de l’Adrar de rouge à orange. Victoire.

Allez-y si…

Vous avez un faible pour le café au sable (pour le couscous aussi), vous avez été biberonné à Théodore Monod et vous vous rêvez en aventurier, vous avez décidé d’arrêter de vous laver, vous aimez collectionner les ampoules, vous avez un grain.

Évitez si…

Selon vous, un chameau et un dromadaire c’est kif-kif bourricot, vous préférez un hôtel 5 étoiles à une nuit à la belle étoile, vous tenez à votre mise en plis, vous répugnez à faire caca derrière une dune sous le regard goguenard d’un fennec, le sable que vous préférez est celui du bac de votre enfance.

L'Adrar, le désert mauritanien - A/R Magazine voyageur 2018

PRATIQUE

Y aller

Avec Allibert Trekking. Randonnée « Les Oasis de l’Adrar » (8 j) Dernier départ de la saison le 24 mars. Premier départ de la saison prochaine en novembre. Formules tout compris (vol direct Paris-Atar avec Point Afrique + hébergement + transfert + nourriture) entre 1000 € et 1500 € (selon options).

Formalités

Le visa d’entrée (55€) est obligatoire pour les Français de passage et les personnes entrant pour la première fois en Mauritanie. Afin de faciliter les procédures d’obtention des visas d’entrée et de séjour pour les étrangers, un système de délivrance de visas biométriques a été mis en place à l’aéroport de Atar et au niveau de l’ambassade de Mauritanie à Paris.

A lire

Méharées et autres textes de Théodore Monod chez Actes Sud. Les principaux écrits et récits d’expéditions de ce grand naturaliste français, né avec le XXe siècle, qui s’est spécialisé dans l’étude scientifique des déserts.

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Écrit par
Sandrine Mercier
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