Finalement, c’est depuis le large qu’on apprécie le mieux la Philharmonie de l’Elbe. Plus précisément depuis le vaste bassin que forme ici l’estuaire de l’Elbe avec ses quais, ses grues et ses porte-conteneurs. Même à 110km de la mer, l’ambiance reste résolument marine et «l’Elbphilharmonie» s’impose comme un grand phare ou comme un paquebot argenté qui s’avance sur une étroite bande de terre et que chaque rayon de soleil fait scintiller. Pourtant, le nouveau bâtiment ne marque pas l’entrée du port de Hambourg – il a depuis longtemps été repoussé sur la rive sud –, mais celle d’un nouveau centre-ville. Si c’est un phare, la Philharmonie de l’Elbe symbolise le dynamisme de cette riche cité portuaire, lui donne comme une revanche sur les destructions massives de la Seconde Guerre mondiale.
Le bâtiment vous dit quelque chose ? Pensez à la Tate Modern à Londres où deux architectes ont trouvé la formule pour redonner vie à un entrepôt désaffecté. Les Bâlois Jacques Herzog et Pierre de Meuron ont récidivé ici, en coiffant le Kaispecher A, un parallélépipède de brique rouge, d’un double de verre. L’opération a été douloureuse : 10 ans de travaux et des surcoûts faramineux. Au total le projet a mobilisé 789 millions d’euros… Mais depuis l’ouverture, tout est pardonné. Hambourgeois et touristes se bousculent autour et dans l’édifice : au 8e étage, à la jonction de l’ancien et du moderne, une place publique accueille tout le monde. On y accède par un impressionnant escalator de 80 m de long ; et là, un balcon panoramique fait le tour du bâtiment pour offrir vues sur la ville et sur le port. De quoi séduire même les plus indifférents à la musique.
Cette place à 37m du sol est le véritable point d’entrée de la Philharmonie, qui se déploie au-dessus, dans le nouveau bâtiment de verre. Comme au Festival de Cannes, il faut monter beaucoup de marches avant d’entrer dans la grande salle qui joue à fond la verticalité. Plaçant l’orchestre au centre, les architectes ont réduit au maximum le parquet et multiplié les balcons en avancées. Objectif : que chaque siège soit à moins de 30 m du chef d’orchestre. Le résultat est étonnant et beau. L’auditorium tient du stade ou du cirque, mais frappe surtout par sa sobriété monacale. Pour seule décoration, une « peau » en stuff (plâtre + fibre) gris-blanc qui recouvre toutes les parois et que l’on dirait érodée par la mer. En fait, ces panneaux ont été fraisés, un par un, au laser pour assurer la meilleure acoustique possible. Les experts ont rendu leur verdict, c’est réussi… Les amateurs de passage ne peuvent qu’opiner, en silence.
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