Point Nemo, cimetière géant pour vaisseaux spatiaux - A/R Magazine voyageur 2018

Le point Nemo, cimetière géant pour vaisseaux spatiaux

Il ne doit pas son nom à un poisson-lune de dessin animé mais à un capitaine, imaginé par un homme de plume amateur de calmars géants (vous aurez reconnu Jules Verne). Point G des océans (G pour géographie, bien sûr), il symbolise le « pôle d’inaccessibilité maritime ». Traduisez : le point le plus éloigné de toute terre émergée. Le TDC des océans, en somme. Situé au centre du Pacifique Sud, bien bien loin des côtes kiwis et de l’Antarctique, quelque part au large de Pitcairn, archipel de désolation oublié du monde…

Pour donner un ordre d’idée, la terre la plus proche du Point Nemo, l’atoll inhabité de Ducie, se trouve à 2 688 km. À l’écart des routes maritimes, on ne peut rêver endroit plus paumé. Paradoxalement, les êtres humains les moins éloignés sont donc les occupants de… la station spatiale internationale, à seulement 330 km de là.

Bleu roi, bleu nuit, cobalt, marine, turquoise ou outremer

Une fois n’est pas coutume, je vous parle d’un endroit où je ne me suis pas rendu, n’ayant pas encore expérimenté la dérive d’un naufrage solitaire dans les mers du Sud. En revanche, je me souviens avoir survolé le pourtour septentrional de la zone, entre une escale aux îles Cook, une excursion à Rikitea et une virée aux Galapagos. Quand je jetais un œil par le hublot, je ne voyais que du bleu. Bleu roi, bleu nuit, cobalt, marine, turquoise ou outremer : toutes les palettes aquatiques.

Le Point Nemo a eu les honneurs d’un roman de Jean-Marie Blas de Roblès (L’île du point Nemo) et moins romantiquement de la presse, qui le qualifie de « décharge spatiale » dès qu’une carcasse envoyée en orbite menace de s’écraser sur terre. Car la nature ayant horreur du vide – et l’homme de se prendre le ciel sur la tête – le Point Nemo a une utilité, en tant que cimetière pour vaisseaux spatiaux hors d’usage et autres déchets satellitaires. Seuls quelques férus d’astronautique et de bizarreries subaquatiques savent ce que ses profondeurs recèlent : quelques 300 engins spatiaux en phase d’obsolescence programmée, parmi lesquels la station Mir, soit 120 tonnes de débris floqués aux couleurs soviétiques.

Le point Nemo, cimetière pour vaisseaux spatiaux

Dans ces abysses, ivresse des profondeurs aidant, tout reste imaginable : pieuvre brandissant faucille et marteau, joute télépathique entre un alien et une sirène, bathynome et requin-lutin butinant de conserve ou spationaute chinois véhiculé par une raie manta. Et pourquoi pas une nef des fous gardée par une armée de krakens et réservée aux derniers Atlantes ? Le point N, zone invisible, autorise de jubilatoires mises en abyme. Dans la région la plus isolée de la planète fut également détecté un son énigmatique, baptisé The Bloop. Une sonorité à ultra-basse fréquence, perceptible à des milliers de kilomètres, enregistrée par les Américains grâce à un système hydrophone mis en place pour détecter les sous-marins ennemis ! À quoi correspond le mystérieux signal ? Chant d’un cétacé enamouré, craquement d’iceberg détaché de l’Antarctide, sonde spatiale défaillante ou… pire ? Les lecteurs de Lovecraft n’ont pas oublié une angoissante nouvelle, L’Appel de Cthulhu, dont l’action se situe dans le Pacifique. L’écrivain visionnaire y décrivait une créature extraterrestre à tête de seiche. Et les coordonnées mentionnées étaient quasiment celles du Point Nemo.

Je compte bien m’aventurer un jour en son centre exact, pour entendre le Bloop. Et admirer une pluie de météores incandescents générée par la désintégration d’une capsule désorbitée. Mais en bateau, de préférence. Un amerrissage forcé en Soyouz n’étant pas inscrit sur ma todo list. Et le capitaine du Nautilus étant hélas ! trop âgé pour m’inviter à son bord.

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* TDCDM (Trous du cul du monde) – © Gengish Skan – Flickr Creative Commons

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Écrit par
Tristan Savin
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