Raymond Depardon – « Le voyage m’a sauvé la vie »

Du Sahara au mont Lozère, le photographe et cinéaste Raymond Depardon a fait du voyage son activité principale. Rencontre avec un nomade au regard toujours en alerte, qu’il s’agisse de faire ses adieux à Saigon ou de retourner photographier Arras, quitte à faire sien ce faux paradoxe signé de Jaurès : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène. »

L’enfant que vous étiez se souvient-il encore de son premier voyage ?

Oui, j’avais douze ans et je suis parti en colonie de vacances à Sète, un voyage organisé par la ville de Villefranche-sur-Saône où était située la ferme de mes parents. Mais il ne s’agit pas d’un souvenir très heureux, car je n’appréciais guère la vie en collectivité ! J’étais quelqu’un d’assez sauvage. Alors les voyages en groupe, les dortoirs, les repas en commun, tout ça ne faisait pas mon affaire. En revanche, je me souviens très précisément du bonheur de voyager. Nous avions pris le train évidemment, de nuit si mes souvenirs sont bons. Et je garde même en mémoire la vapeur de la locomotive quand nous passions dans un tunnel. Avec très présente en moi déjà, l’idée du voyage, du départ, de l’ailleurs inconnu qui vous fait vous enfoncer dans la nuit sans connaître le but. Même si de Villefranche à Sète, la distance n’est pas bien grande, c’était alors pour moi comme le bout du monde.

Le voyage s’est donc imposé à vous très tôt.

Oui, même s’il ne s’agissait pas encore de grands départs. Mes parents avaient une Renault Juva 4, après avoir eu une Renault Torpédo que je n’ai pas connue. Les dimanches, on faisait des très petits déplacements de quelques kilomètres seulement, pour aller voir les proches aux alentours ou fleurir les tombes familiales. Mais c’était déjà partir et je me souviens qu’un jour, dans une descente vers le village d’Ars, j’avais forcé mon père à atteindre les 70 km/h ce qui m’avait mis en joie. Je dévorais des yeux les paysages qui défilaient. Mais le plus formidable, ce fut un voyage à Lyon, en train, avec mes parents. Pour la première fois, j’ai découvert la grande ville, ma première grande ville. Je pense que dès cette époque mes parents ont repéré cette curiosité, cette soif de découvrir l’ailleurs. Ils ont peut-être deviné avant moi ma destinée : le fait que je ne reprendrai pas la ferme familiale, parce que j’avais trop la tête en l’air ou la tête ailleurs, si vous préférez. (…) Lire la suite dans AR33

Photographe : Thomas Chéné
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Écrit par
Laurent Delmas
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