Salvador, la résurrection

Les fumées de la guerre civile ont beau s’être dissipées depuis plus de 26 ans, l’annonce d’un voyage au Salvador déclenche toujours dans l’entourage une salve de réactions allant de la perplexité polie à la franche inquiétude. En fonction de leur imagination et de leurs vagues souvenirs de journaux télévisés, vos interlocuteurs vous voient déjà traînant la patte dans une jungle épaisse, encadré par des guérilléros moustachus à l’hygiène douteuse ou courant ventre à terre sous une pluie de balles traçantes tandis qu’un indien mutique vautré sur des sacs de café pur Arabica distille de l’Ennio Morricone à la flûte de pan. Il faut du temps pour se repeindre une réputation à neuf. Les requins ont eu les Dents de la Mer, le Salvador a dû se colleter le film éponyme d’Oliver Stone avec James Woods en reporter buriné découvrant les turpitudes de la dictature soutenue par les États-Unis. À chacun son boulet. La guerre a duré suffisamment longtemps pour marquer les chairs et les esprits. De 1979 à 1992, la rébellion du FMLN (Front Farabundo Marti de liberation nationale) contre les militaires a fait tout de même 75 000 – 110 000 morts selon les estimations (dont 95 % victimes des escadrons de la mort) et un million de déplacés (20 % de la population). Le touriste tout juste débarqué de l’avion subit toujours les conséquences de ce cataclysme : chaque week-end, les campagnards qui s’étaient réfugiés dans la capitale jugée plus sûre et qui pour la plupart n’en sont jamais repartis, regagnent leur ancien village occasionnant ainsi de monstrueux embouteillages. La concorde nationale a pu être retrouvée au prix d’une amnistie générale. Meilleur symbole de cette nouvelle fraternité, la police, recomposée à parts égales d’anciens militaires et guérilléros. Les anciens ennemis se sont aussi rabibochés au sein des maras, ces gangs apparus en Amérique centrale dans les années 1990 lorsque les États-Unis ont massivement expulsé plus de 3000 voyous des bas-fonds de Los Angeles une fois leur peine purgée. La paix a parfois un goût amer. (…)

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L’église du village de Cinquera, entièrement abandonné durant la guerre civile.
Photo: Christophe Migeon.
Photographe : Christophe Migeon
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Écrit par
Christophe Migeon
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