La sélection cinéma d'A/R pour affronter l'hiver - A/R Magazine voyageur 2020

La sélection cinéma d’A/R pour affronter l’hiver

Séjour dans les monts Fuchun – Chine

Découvert en clôture de la Semaine de la Critique lors du dernier Festival de Cannes, Séjour dans les monts Fuchun est le premier lm d’un surdoué cinéaste chinois de 31 ans, Gu Xiaogang. Avec ce premier volet d’un triptyque annoncé, il livre une très ambitieuse et superbe fresque tout à la fois intimiste, sociale et politique.

Nous sommes à Fuyang, dans la province du Zheijiang, au sud- ouest de Shanghai, le long de la rivière Fuchun, au cœur de cette Chine nouvelle qui se pense comme une « start-up nation». À telle enseigne que c’est là qu’est situé le siège du méga-site de vente en ligne Alibaba. À telle enseigne également qu’un couple de pêcheurs locaux n’a plus les moyens de se payer un loyer dans les nouveaux immeubles issus des anciens quartiers que l’on rase en trois jours. La misérable barque familiale leur servira désormais de maison à eux et à leur fils. Ainsi va la vie ou plutôt la survie dans ce pays en mutation quotidienne. Et pendant ce temps, croissance oblige, on évoque la construction d’une ligne de métro.

Le film nous plonge ainsi dans une chronique subtile de trois générations d’une même famille, les Gu, qui célèbre les 70 ans de la grand-mère. Les quatre enfants subissent de plein fouet la précarité et la montée d’une misère sociale que les pouvoirs publics ignorent superbe- ment. On s’arrange, on bricole, on vit comme on peut, mais tout se détériore. Le constat dressé par Gu Xiaogang ne laisse guère de place à l’optimisme.

Mais la force du film, c’est que ce discours particulièrement sombre va de pair avec une incroyable attention portée aux paysages qui portent en eux une forme de permanence. Le cinéaste peut ainsi filmer durant plusieurs minutes un nageur évoluant dans les eaux du fleuve, comme un rappel assumé d’un très célèbre tableau de la peinture chinoise du XIIIe siècle. Ainsi se mêlent les temporalités et les destins afin de cerner les complexités et les hésitations d’une société en perpétuelle interrogation sur son devenir. Car le jeune cinéaste ne dissimule rien des pratiques les plus prosaïques comme ces propriétaires qui se désolent de ne pas être encore visés par les avis de démolition de leurs immeubles : ils sont ainsi privés en effet du revenu providentiel de la compensation financière qui leur est offerte s’ils déguerpissent… Ou bien encore le désarroi de ces parents qui n’ayant qu’un enfant unique pour se conformer à la politique familiale de l’époque placent en lui des espoirs excessifs et forcément déçus. Autant d’images et de situations qui mettent ce film immédiatement au rang de chef d’œuvre.

Un film de Gu Xiaogang – Sortie : 1er janvier 2020

Séjour dans les monts Fuchun - Chine

Le lac aux oies sauvages – Chine

Présent de nouveau à Cannes cette année, Diao Yinan l’auteur du très remarquable Black Coal, récidivait avec ce polar très noir. Plus que le récit lui-même, c’est le décor qui prend ici une dimension de premier plan avec une ville qui ressemble à un bidonville. Le tout au service d’une guerre des gangs qui se déroule sous une pluie nocturne et permanente ou presque. Quant à la Chine qui nous est montrée, c’est un pays littéralement à la dérive que rien ne semble pouvoir sortir du chaos. Voguant dans les eaux du lm de genre, le cinéaste affiche un brio sans pareil pour créer des atmosphères décalées et définitivement glauques

Un film de Diao Yinan – Sortie : 28 décembre 2019

Le lac aux oies sauvages

Les siffleurs – Roumanie

Avec ce nouveau lm, Porumboiu, l’un des cinéastes les plus stimulants de la Nouvelle vague roumaine, affirme une fois de plus sa singularité. Vrai-faux polar qui ne cesse de brouiller les pistes pour mieux dérouter allégrement ses spectateurs, ces siffleurs nous entraînent de Bucarest aux iles Canaries. Comme toujours chez cet auteur, on oscille entre le pur comique et le plus tragique au l du récit. Et l’auteur s’amuse des codes du lm noir, convoque Gilda et Hitchcock pour mieux les abandonner en route, le tout sur fond de la Barcarolle, le tube des Contes d’Hoffmann d’Offenbach.

Un film de Corneliu Porumbiu – Sortie : 8 janvier 2020

Les siffleurs

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Écrit par
Laurent Delmas
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