Sur la piste de Lucky Jul

Dans La terre promise, le célèbre cow-boy accompagne une famille de juifs ashkénazes à travers les États-Unis jusqu’au Montana. D’où vous est venue cette idée ?

Je reprenais la série en tant que scénariste à l’occasion des 70 ans du personnage. Il fallait faire quelque chose de nouveau tout en restant fidèle à l’esprit de la BD. Il y avait déjà eu pas mal d’albums où Lucky Luke rencontrait des gens venant d’une culture extérieure à celle du Far West et qui représentaient vraiment un morceau de la mosaïque américaine, mais il manquait singulièrement les juifs et les Noirs. De qui allais-je parler ? Les deux étaient assez casse-gueule à mettre en scène. J’ai finalement opté pour cette famille juive qui émigre parce que c’était une histoire heureuse alors que la tragédie de l’esclavage était plus difficile à traiter dans une comédie tout public. J’avoue aussi que je suis fan de Rabbi Jacob. Les chocs culturels sont toujours source de gags et je me suis vraiment amusé à faire ce Lucky Luke.

Est-ce que c’est aussi une manière de rendre hommage à Goscinny dont la famille ashkénaze est venue de Pologne en France puis est partie en Argentine ? Lui-même a eu sa petite aventure aux États-Unis.

J’ai une admiration éperdue pour le travail de Goscinny, mais je ne voulais pas lui rendre hommage de cette façon. En travaillant sur le sujet, j’ai cependant réalisé à quel point son histoire personnelle est entièrement absente de son œuvre. On ne sait pas si c’est de la pudeur ou de la gêne à une époque où l’on associait la bande dessinée à de la littérature pour enfants. L’histoire de sa famille s’inscrit dans l’histoire de la grande migration juive en Europe puis dans le Nouveau Monde. Ceux des siens qui ont émigré en Argentine ont survécu à la Shoah, tous les autres sont morts. Cette tragédie est comme une ombre qui plane sur toute son œuvre.

Et il a écrit des BD qui sont devenues le symbole de la France

Oui, il a créé Astérix, parlé de nos ancêtres les Gaulois alors que finalement il n’y en avait pas un seul parmi ses ancêtres.

Avez-vous connu quelques aventures dans l’Ouest américain ?

Je connais assez peu le Far West. J’adore les États-Unis, mais en bon Européen, j’ai surtout passé du temps sur les côtes est et ouest. Je rêve si on travaille un jour sur l’esclavage de faire un grand voyage dans le Sud, en Louisiane ou en Alabama J’adore les livres de James Lee Burke, Faulkner ou Carson McCullers. Je serais curieux de mettre vraiment les mains dans le bayou.

Vous connaissez mieux la Chine semble-t-il ?

C’est un peu mon deuxième pays, en tout cas mon pays d’avant. En seconde, j’ai choisi par hasard le chinois comme troisième langue et à quinze ans je suis allé à Pékin pour la première fois dans le cadre d’un échange. J’y suis retourné ensuite chaque année pendant deux mois. Cela a duré douze ans. J’ai voyagé vraiment partout. J’aimais beaucoup la Chine des campagnes, mais elle a presque complètement disparu. C’est très triste. Dans les villages, tous les hommes sont partis, il ne reste que des femmes et des gamins. Et puis l’environnement s’est terriblement dégradé. Le pays court vers l’abîme, c’est effrayant. Aujourd’hui, la Chine m’angoisse plus qu’elle ne m’apaise.

On voit pourtant une prise de conscience écologique aujourd’hui ?

Oui, mais on est tout de même loin du compte. Il y a une telle force numérique de la Chine. C’est comme vouloir arrêter un camion lancé à toute vitesse. Même si on appuie sur le frein, la distance de freinage est tellement immense que ça va faire beaucoup de dégâts. Il faudrait des décisions vraiment radicales. (…)

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Photographe : Franck Ferville
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Écrit par
Michel Fonovich
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